Carnet Culturel
Blau/Somnambul,
le titre de telle toile accueille le visiteur à son entrée dans l'exposition de Manfred Schling,
à la galerie La Cité jusqu'au 8 février prochain, en dit sans doute la tonalité dominante,
l'état ou le sentiment qu'elle dit ensuite me semble plus caractéristique encore, plus significatif.
C'est en effet un peu en somnambule qu'on entre dans l'univers pictural de l'artiste berlinois
(qui expose pour la troisième fois déjà à Luxembourg), tellement la réalité y a perdu de sa présence
insistante, elle s’est faite évanescente, diaphane, comme si nous ne l'appréhendions plus que derrière
des vapeurs de brouillard ou à travers les mailles fines d'un voile. Il y a aussi dans les peintures
de Manfred Schling, pour souligner davantage ce qu'elles ont de vivant, de dynamique comme d'amples
vagues qui se déploient, recouvrent les choses, comme des poussées de vent, soulevant combien de sable.
Et peut-être que les unes et les autres déposent sur la toile autant de parcelles, nouvelles, de réalité
justement. Des objets, plus ou moins sculpturaux, plus ou moins architecturaux, se profilent, seuls leurs
contours se distinguent plus nettement; il arrive que des silhouettes surgissent de quelles profondeurs.
Là oü la scène (car c'est bien de cela qu'il s'agit aussi dans ces toiles parcourues d'une longue courbe,
horizon lointain se détachant du ciel) est restée vide, on peut imaginer que ce n’est que momentanément,
qu'elle attend que viennent les dieux ou héros que Wieland Wagner a placés jadis dans un même décor cosmique.
Ailleurs, l'atmosphère tend par elle-même vers plus de dramatisme. Réalités de toutes sortes que les peintures
de Manfred Schling évoquent (dans tous les sens du terme, elles les font apparaitre par des images, elles les
appellent par la magie). Mais la réalité première, primordiale, qui y est en jeu est la peinture elle-même,
ou plus précisément la matière picturale, dans sa consistance et sa légèreté ensemble son intensif et son
scintillement, sa force et sa friabilité pour un peu sa santé et sa vulnéabilité tellement elle est vivante.
Que les peintures de Manfred Schling portent aussi à la méditation, ouvrent proprement à une réflexion quasi
métaphysique, sur l'être des choses, le devenir, voilà qui donne à notre plaisir (purement esthétique)
une dimension supplémentaire.
Lucien Kayser